La novlangue dans les médias (partie 2)

Quand j’écoute les infos, certains mots allument un petit signal d’alerte dans ma tête, mon esprit critique sort du mode veille. Car ces mots vont soit me cacher la réalité, soit me suggérer un angle d’approche que je n’ai pas envie d’accepter comme ça.

Retrouvez les mots suspects dans ce faux journal...

La SNCB  a reçu de nombreuses plaintes de ses clients. Suite à la grève sauvage de ce matin,  qui a pris en otage de nombreux navetteurs. La grogne des travailleurs de la SNCB se poursuit, ils souhaitent  conserver leurs privilèges.

Des nouvelles du Cotan, Une frappe chirurgicale en vue de la pacification a causé la perte de 35 civils. Ils ont été victimes de balles perdues.

Le TAFTA refusé par les citoyens. Le ministre incrimine un manque de pédagogie de la part du gouvernement.

Décodage

Première info

Dans la première info nous parlons des clients de la SNCB et pas des usagers. Le mot client est de plus en plus présent dans les rapports, les communications, les documents de la SNCB, de l’ONEM. Il remplace insidieusement  au niveau des  service publics, les mots d’usagers, bénéficiaires ou encore citoyen. Ce mot qui semble banal change pourtant complètement les relations. 

Ça change quoi concrètement ? 

Si on parle de « client », nous ne sommes plus dans un « service » aux citoyens, mais dans une relation commerciale. Certaines entreprises décident, pour accroître leur bénéfices, de ne garder que les clients rentables. Si vous faites de tout petit travaux chez vous, vous aurez peut-être du mal à trouver un entrepreneur car le travail n’est pas intéressant pour lui : il devra compter son trajet, son temps et calculer son prix avec ses charges et ses cotisations. Et 150€ pour changer une ampoule, ben c’est un peu cher. C’est exactement la même dynamique si le service public se conduisait comme une entreprise. Il peut choisir ses clients et virer les moins rentables. Cela veut dire, par exemple, supprimer les lignes de trains peu rentables (celles des petits villages par ex) ou encore supprimer des permanences de proximité.

Contaminer les services public avec les mots et les concept marketing, c’est changer complètement leur rôle et la conception qu’ils en ont. On met les travailleurs de ces structures dans un paradoxe, tiraillé entre une idée de service aux citoyens et une façon de fonctionner propre aux entreprises. On dénature le service pour pouvoir le rendre complètement inadéquat. Et ce qui doit arriver, arrive… « cela marcherait peut-être mieux avec une entreprise privée ! » On ne s’adressera plus à l’ensemble des citoyens mais à ceux qui ont les moyens*.  Si ce sujet de la privatisation vous intéresse, il existe plein d’articles intéressants sur Google, qui explique pour faire bref, que c’est souvent au détriment du citoyen, et surtout des plus précarisés.

Un peu comme le mot consommateur… essayez de voir la proportion des moments ou vous êtes considéré comme une personne c.à.d. sans qu’on vous demande d’acheter ou de consommer quoi que ce soit. Oui, ils sont rares… (publicités, angle racoleur des infos…)

Consommateur avec un pouvoir d’achat…. C’est un mot intéressant le pouvoir d’achat, entendu sans cesse dans les médias. Pour beaucoup de gilets jaune, du pouvoir il n‘en voient pas trop. Puisque les achats qu’ils font sont souvent contraints : un toit pour se loger, les factures d’énergie, de quoi manger, de quoi assurer sa subsistance… c’est une contrainte d’achat pour pouvoir survivre. Cela me fait penser à une phrase qui pose réflexion « l’être humain est le seul animal qui paie pour vivre ».

Mais l’expression pouvoir d’achat fait plus penser à la possibilité de s’acheter le dernier SUV ou Smartphone à la mode qu’à la survie. Et pourtant, c’est cela que cela cache souvent, l’impossibilité d’avoir un accès à une vie digne. C’est un pouvoir de « vivre » qu’il faudrait demander.

Et quand on y pense, c’est antinomique, on pourrait augmenter notre pouvoir d’achat en travaillant plus, certains cumulent d’ailleurs les boulots pour s’en sortir (les slashers, ça fait cool, mais si certains aiment multiplier les boulots, d’autres y sont contraints). Augmenter le temps de travail, c’est pour beaucoup réduire le temps disponible pour vivre vraiment. On augmente donc le pouvoir d’achat, on réduit encore notre pouvoir de vivre. C’est à partir du moment où les besoins de base sont remplis qu’ on peut seulement commencer a choisir.

Les mots du marketing s’imposent dans nos vies sous couvert de coolitude. Deviens « l’entrepreneur » de ta vie. Et quand tu cherches de l’emploi « apprends à te vendre ». C’est quand même violent comme terme. Car quand on vend quelque chose cela ne nous appartient plus, non ?  Le Personal branding, c’est l’art de faire sa propre pub, on devient le produit. On construit son image publique avec les mêmes stratégies qu’une agence de pub. 

Grève sauvage, prise d’otage, grogne et privilèges.

Grogne : Une jolie technique pour décrédibiliser des revendications sérieuses, c’est de les comparer à un comportement animal comme ici la grogne des travailleurs. Les paroles de contestation sont comparées à un bruit animal de mécontentement. Un peu comme les phrases « Arrête de jacasser, ou de glousser » (souvent pour décrédibiliser la parole des femmes). On a cette référence au monde animal aussi dans le mot grève « sauvage ». On devrait plutôt dire grève spontanée, elle ne vient pas de rien en général. C’est une manière de disqualifier le combat et les idées.

Prise d’otages : La technique ici est de  grossir le trait et on compare le droit des travailleurs à faire grève pour tenter de garder des conditions de travail correcte à un acte criminel. Pour mettre de l’huile sur le feu, et faire les faire passer pour des « grévistes professionnels ». Et au lieu d’expliquer les raisons du mécontentement , on a droit à des micros-trottoirs sur les inconvénients créés par la grève. Au lieu de rassembler les travailleurs (dont beaucoup luttent pour éviter de perdre ce qui a été conquis socialement), on divise. Un traitement manichéen efficace au niveau audience, les méchants grévistes contre les gentils navetteurs. Encore une fois, on ne présente qu’un angle d’approche et le plus racoleur.. oui savoir pourquoi ils se battent avec les chiffres techniques, ça va être chiant.

Privilèges, un mot qui divise

Les privilèges on en parle souvent pour diviser en comparant les acquis sociaux de différents types de travailleurs. Mais de quels privilèges parle-t-on ? Des chèques repas?  Des jours de vacances pour récupérer des horaires en décalé ?  On sépare les gens pour des « peanuts… » et cela entraîne des torrent de haines sur les réseaux sociaux, chacun se comparant à l’autre,  alors qu’on est tous dans le même système. Les vrais privilégiés, eux se cachent.

 

Deuxième info

Sujet sensible, la guerre, cela fait longtemps que la novlangue a envahit le vocabulaire de l’armée.

  • Une frappe chirurgicale cela peut recouvrir juste un bombardement
  • pacification peut recouvrir le fait d’une extrême violence.
  • civils : ce sont des familles, des enfants…
  • balles perdues : erreur de tir qui a tué quelqu’un

Il a aussi envahi notre langage courant : ça va être la guerre ! Ou encore, Rendez-vous au QG pour quartier général.

Troisième info

La pédagogie est un mot amusant. Qui sous entend que si une idée n’est pas acceptée, celle qu’elle n’a pas été comprise. Et que les citoyens et les citoyennes sont complètement stupides car ils refusent ce qui a été décidé. Bizarrement après la phrase « On a manqué de pédagogie », on a rarement l’explication construite d’une décision avec les vraies forces en jeu… Heureusement, des personnes prennent le temps de chercher et d’expliquer. On a un bel exemple pour le TAFTA, où de nombreux économistes, des citoyen·ne·s ont étudiés des centaines de pages pour mettre à jour les vraies implications d’un tel accord. Les citoyens et les citoyennes ont donc pu avoir une vision alternative.

Attention un mot mais plusieurs traductions possibles

J’ai décrypté la novlangue avec mes valeurs progressistes. Des personnes ayant une autre vue de la société peuvent décoder les mots différemment. C’est donc important de se questionner, de se faire son propre avis et de ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui nous est dit.  Voici quelques extraits de décodage provenant d’un site de propagande d’extrême droite, c’est très différent. Ce qui est inquiétant, c’est que c’est un des premiers résultats Google quand on tape « Novlangue ». 

Alors, je suis d’accord sur certaines traductions. Par exemple EFFORT (ex. : le gouvernement promet de « ne pas relâcher l’effort sur les réformes »). Une présentation valorisante de l’action du pouvoir alors que souvent les efforts sont réclamés des citoyens.

Par contre d’autres traductions sont effrayantes, et semble de très mauvaise foi si on a une vision progressiste. Mais je suppose qu’inversement ma vision des choses doivent leur paraître également risible et dangereuse.

« ETRANGER. par définition personne supérieure en droits et en talents par rapport aux autochtones en particulier dès lors que ceux-ci sont français.

DROITS DE L’HOMME. doctrine au nom de laquelle il est porté atteinte aujourd’hui à la souveraineté des peuples et aux droits des citoyens (trad. : idéologie), à l’encontre de la tradition républicaine.

Encore pire…

INCIVILITÉS. Mot trompeur : actes réprimés par la loi sauf lorsqu’ils sont commis par des personnes issues de l’immigration africaine et maghrébine.

Le sens que l’on met derrière les mots et le choix des mots que nous utilisons, transmettent une certaine vision du monde, une idéologie, et non ce n’est pas un méchant mot, c’est  juste un système d’idée. J’ai déjà reçu un retour sur un de mes commentaires Facebook m’accusant  de créer une idéologie…. Comme si notre système n’était pas lui aussi créé sur une idéologie. Selon Wikipedia, L’idéologie dominante est souvent diffuse, omniprésente, et invisible pour ceux qui la partage. On est tellement dedans que l’on ne s’en rend plus compte. Nous sommes dans une idéologie. mais nous pouvons très bien défendre d’autres systèmes d’idées, normalement c’est à ça que sert la démocratie, confronter des idées différentes.

Notre façon de traduire le monde est donc un choix. Et c’est passionnant.

Concrètement, je fais quoi…

  • Remettre les mots à leur bonne place : je suis un usager et un citoyen.
  • Faire attention à ces mots à la mode… qui nous transforment en produit. J’évite personnellement de les utiliser, non je ne gère pas ma vie comme une entreprise.
  • Rappeler la réalité de terrain, derrière certains mots.

 

Et pour terminer sur une note plus positive, c’est un choix aussi d’utiliser de jolis mots qui font du bien comme humanité, empathie, solidarité…

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